Le monde arabe du démembrement colonial à la tragédie palestinienne

Depuis les accords Sykes-Picot en 1916 jusqu’à l’actuelle extermination de la population palestinienne de Gaza, l’Histoire du monde arabe est marquée par des découpages imposés, des révoltes écrasées, et des crimes dissimulés sous le masque du droit international. Une chronique de domination et de résistance, où le silence complice se mêle à la souffrance des peuples. (second de trois articles)

Gaza. 6 mars 2024

de Houria Abdelouahed*

Le moyen Orient, et de façon générale le monde arabe, a toujours été objet de convoitise de l’Occident. Les Arabes ne sont sortis de la domination ottomane que pour se trouver soumis à des colonisations britannique, française, espagnole, italienne (Expédition de Bonaparte en Egypte en 1798, présence britannique en Egypte dès 1882, colonisation de l’Algérie en 1830, Protectorat en Tunisie en 1881, colonisation de la Libye par l’Italie en 1911, Protectorat français et espagnol au Maroc en 1912, Mandat français au Liban et en Syrie en 1920, Mandat britannique en Palestine en 1920, Mandat britannique en Mésopotamie, l’actuel Irak, en 1920). Donc, le monde arabe a connu une succession de protectorats et de colonisations par les puissances occidentales.

Cela est fort connu.

Mais qui se souvient des accords Sykes-Picot signés en secret le 16 mai 1916 ? Ces accords prévoyaient le découpage du Proche Orient à la fin de la première guerre mondiale en plusieurs zones au profit de ces puissances. Les accords s’inscrivent dans le contexte d’une domination coloniale par laquelle deux pays (La France et le Royaume uni) exercent une action déterminante et durable sur les peuples du Moyen Orient et découpe cette région en quatre zones. À l’issue de la Première Guerre mondiale, la Palestine, au lieu d’être internationalisée, comme cela avait été promis, sera cédée au Royaume-Uni.

Relevant de la diplomatie secrète, les accords Sykes-Picot, n’avaient aucune valeur légale. Mais ils prennent effet lorsque le Royaume-Uni et la France les mettent en application dans le cadre de la Société des Nations sous prétexte que les peuples du Moyen Orient ne sont pas aptes à se diriger eux-mêmes et avec la promesse de les conduire vers l’indépendance. Or, l’Histoire se souviendra que le Royaume-Uni et la France ont écrasé dans le sang les révoltes qui ont éclaté notamment en Irak, en Palestine et en Syrie.

L’Irak a obtenu son indépendance en 1932, la Syrie en 1946 et l’Egypte en 1953. La Palestine est restée sous mandat britannique qui la cédera afin de réparer  les crimes du nazisme.

La suite est fort connue : La Société des nations a été remplacée par l’ONU (l’Organisation des Nations unies) qui restera aussi faible que l’organisation qui la précéda. L’Irak a été frappé sans l’accord de l’ONU. La phrase de Kofi Annan («C’est un triste jour pour les Nations unies et pour le monde ») en dit long sur l’impuissance de l’Organisation devenue l’ombre de son ombre ou un fantôme des bas fonds.

Le monde a appris qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massives en Irak, qu’il n’existait aucun lien entre les attaques des tours jumelles (World Trade Center) et les frappes de l’Irak. Tony Blair (l’ancien Premier ministre du Royaume uni) n’a pas été jugé, ni G.W. Bush —  ni Sarkozy qui a provoqué l’effondrement de la Libye. La Syrie a connu le désastre provoqué par Al-Baghdadi, qui était un secrétaire et médiateur dans les geôles américaines et qui s’est emparé de l’arsenal militaire laissé par les Américains, en Irak.

La valse dans ce théâtre de la cruauté parait interminable.

L’ONU aujourd’hui, face à l’extermination du peuple palestinien, a du mal à imposer le cessez-le-feu à Israël. Le « plus jamais ça !» se brise sur le roc de l’hégémonie américaine et son allié Israël, de l’aide inconditionnelle de l’Allemagne et de l’Angleterre, et bien entendu du silence des pays du Golfe et de l’Egypte.

Ainsi, devant le Droit international bafoué, les prôneurs de démocratie soutiennent ouvertement le gouvernement de Netanyahu qui dit et crie : « La Bible dit qu’il y a un temps pour la paix et un temps pour la guerre. L’heure est à la guerre ». « La victoire commence par faire la distinction entre le Bien et le Mal, entre le vrai et le faux », a-t-il poursuivi.

Netanyahu fait référence à la Bible pour justifier l’agression israélienne contre les Palestinien.ne.s dans la bande de Gaza et cite l’injonction biblique à se souvenir de ce que les Amalécites (tribu mentionnée dans la Torah) ont fait aux Israélites, afin de justifier la barbarie d’Israël dans l’enclave palestinienne soumise à un siège total. « Avec des forces partagées, avec une foi profonde dans la justice de notre cause et dans l’éternité d’Israël, nous réaliserons la prophétie d’Isaïe » (60:18), lance-t-il à la face du monde.

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Il ne s’agit pas d’une guerre. Une « guerre » suppose deux armées. Ici, il s’agit d’un nettoyage ethnique. Une armée bien entrainée et bien équipée contre des civiles. A la date où nous écrivons cet article (mars 2024), plus de 30 878 palestiniens sont morts à Gaza, et il y a plus de 72402 blessés.

Sur les réseaux sociaux, nous entendons la voix effrayée de la petite Hind qui appelait au secours devant le tank qui ne cessait de s’approcher de la voiture où elle se trouvait. Elle et ses proches, ont tous péri dans le sang, victimes des soldats de Tsahal à Gaza, ces soldats ravitaillés par l’Egypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite alors que leurs sœurs et frères de Gaza sont dévastés par la faim et le manque d’eau.

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En direct, on voit des Gazaouïs qui tentent de dégager les corps gisant sous les décombres. L’image d’une petite main bouleverse, révulse la vue.

Mahmoud Darwich disait : « Si ta main tombe, ramasse-la et frappe ton ennemi ». La main est désormais sous les décombres. Fadoua Touqân disait : « Yaminan ba’da hâdhâ al yawmi lan abkî (je jure de ne plus pleurer après aujourd’hui) » C’était il y a bien longtemps. Aujourd’hui, un peuple est encerclé, affamé, humilié, assassiné par la version XXIème siècle de l’accord Sykse-Picot qui voit les monarchies du Golfe assister à l’extermination des leurs.

Devant la voracité du nouvel ordre mondial qui fait fi du droit de l’humain à la vie, nous serons, non pas, comme disait Mudhaffar Annawab, les juifs de l’Histoire errant dans le désert sans abri. Non ! nous serons tous et toutes des Palestiniens et des Palestiniennes.

* Houria Abdelouahed, professeure des universités (Université Sorbonne Paris Nord), psychanalyste et traductrice, est notamment l’autrice de « Figures du féminin en Islam » (PUF, 2012), « Les Femmes du prophète » (Seuil, 2016). Elle a également écrit « Violence et islam » (Seuil, 2016, traduit en quinze langues) et « Prophétie et pouvoir » (Seuil, 2019) avec Adonis, dont elle a traduit le grand opus « Le Livre » (al-Kitâb).  Son livre le plus récent, « Face à la destruction: Psychanalyse en temps de guerre » est publié chez Les femmes.